Les populistes

Un Trump au Canada ?

Un politicien populiste pourrait-il un jour diriger le Canada ? En conclusion de sa série sur le populisme, La Presse a posé cette question à Éric Montpetit, professeur au département de science politique de l’Université de Montréal. « Tous les ingrédients sont là », affirme l'auteur du livre In Defense of Pluralism (Cambridge University Press). 

Avec Justin Trudeau comme premier ministre, on pourrait croire que le courant populiste en Europe et aux États-Unis ne touche pas le Canada. Quel est votre avis ?

C’est vrai qu’à court terme, Justin Trudeau offre une certaine protection. Il a une image positive à l’international, il est vu comme l’antithèse du politicien populiste. Je pense que ça nous fait plaisir un peu de voir ça, mais on peut imaginer que ça ne va pas durer éternellement. Trudeau va finir par souffrir de certaines décisions moins populaires qu’il aura à prendre. Avec le temps, c’est certain que son image va pâlir, ça arrive à tous les politiciens.

Quand on regarde les ingrédients fondamentaux du populisme, ils sont présents au Canada. Le plus important, c’est le cynisme de la population à l’endroit du monde politique. Il y a des soubresauts, mais la tendance depuis les années 70 est à l’augmentation du cynisme, au Canada comme ailleurs. Le cynisme, c’est ce qui prépare le mieux le terrain pour des chefs populistes. Ensuite, il y a la hausse des inégalités et le déclin des emplois dans l’industrie manufacturière.

À quoi ressemblerait un chef populiste « à la canadienne » ?

Tous les chefs populistes se présentent comme des gens non conventionnels, des gens qui n’ont pas la langue de bois, qui ne se laissent pas dire quoi faire par des spécialistes en communication. L’objectif du populiste est de se démarquer de l’élite politique traditionnelle. Aussi, le chef populiste critique l’ordre libéral. L’immigration, le multiculturalisme, les traités de libre-échange, le rôle des juges dans la société, la Charte des droits et libertés… Ce sont des choses que les chefs populistes aiment critiquer.

Trump a réussi à se présenter comme un chef anti-élite, alors qu’il est un multimillionnaire qui a réussi dans le monde des affaires. Ce n’est quand même pas rien. Je pense que ce serait un gros défi de réussir une telle métamorphose au Canada.

Quel serait le public cible d’un populiste canadien ?

On a tendance à penser que ce serait des travailleurs du secteur manufacturier, des gens qui ont vu leur pouvoir d’achat diminuer. Mais en réalité, ce serait beaucoup plus large que ça. Comme je le disais, le cynisme touche beaucoup de monde. Des gens de la classe moyenne, des professionnels, des propriétaires d’entreprise, des gens qui ont l’impression qu’ils se font avoir, qu’ils paient trop d’impôts et que c’est gaspillé par le gouvernement, que l’État ne fonctionne pas, que l’élite politique est corrompue. Le chef populiste promet de briser le système. Ça peut plaire même à des gens qui sont relativement à l’aise dans la vie.

N’oublions pas non plus que le populiste n’a pas que des idées de droite. Même Trump est parfois difficile à suivre. Sur l’enjeu de l’assurance maladie, Trump était à la gauche de Paul Ryan. Les chefs populistes sont associés avec la droite, souvent avec raison, mais ce sont des gens parfois difficiles à classer. Il y a des gens qui avaient appuyé Obama en 2012 qui ont voté pour Trump en 2016. Les populistes peuvent rassembler une drôle de coalition de partisans. Des gens de gauche, des gens de droite, des gens plus à l’aise, des gens moins à l’aise… Ce qu’ils ont en commun, c’est cette impression que le système ne fonctionne plus.

Des populistes canadiens selon Éric Montpetit

Jean Chrétien

« Lorsque j’étais étudiant dans les années 90, des professeurs donnaient l’exemple de Jean Chrétien comme chef populiste. Je crois qu’à l’époque, on considérait comme chef populiste toute personne issue de la classe populaire et qui parle au nom de cette classe et à la façon de cette classe. Aujourd’hui, je ne crois pas qu’on affirmerait que Jean Chrétien est un populiste. »

Rob Ford

« Rob Ford provenait de l’élite plus que de la classe populaire, mais j’ai l’impression que l’origine est moins importante qu’elle ne l’a déjà été pour définir ce qu’est un chef populiste. Aujourd’hui, le chef populiste se distingue des autres, toujours en prétendant parler au nom du peuple, mais en utilisant aussi des propos qui violent des conventions ou des normes. »

Kevin O’Leary

« Je ne connais pas bien Kevin O’Leary, mais il semble lui aussi enclin à s’écarter du cadre généralement accepté, notamment en affirmant haut et fort qu’il ne va pas s’empêtrer avec l’ordre fédéral avant de mettre en place ses politiques économiques. Les chefs populistes vont souvent affirmer que le peuple en a assez de l’immobilisme et, au nom de l’action, se disent prêts à faire fi de principes devenus importants dans les démocraties libérales. »

Bernard Gauthier

« Tout comme le faisait Rob Ford, Bernard Gauthier viole constamment les normes de bonne conduite et se justifie en affirmant que le peuple en a assez de la rectitude politique. Le chef populiste va souvent dire de ses adversaires qu’ils sont les ennemis du peuple, et non pas seulement des gens avec qui ils ont des désaccords. O’Leary semble être de cette trempe ; j’ai l’impression que Gauthier fait la même chose. »

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